Dire ce que l’on aime
par Francis Ponge

          Je crois que, de temps en temps, il faut dire ce que l’on aime (et ce que l’on n’aime pas), sans que l’on ait, d’ailleurs, du tout à l’expliquer. S’y risquerait-on en effet, il se pourrait bien qu’on oublie l’essentiel, ou seulement une petite partie de l’essentiel : ce qui dépend de votre goût profond, et qui est évidemment ce qu’il est le plus difficile d’expliquer et qui est, pourtant, le plus important à partager pour qui désire vous aimer vraiment.

          Disant donc, sans la moindre explication, que vous aimez telle ou telle chose, il se peut bien que cela sépare de vous quelques-uns, voire plusieurs, voire beaucoup, voire tous. Là n’est pas l’important, car vous n’avez pas tant d’illusions et vous vous attendez bien, n’est-ce pas, à rester seul. Vous ne prétendez pas, bien sûr, vous, être aimé : il vous suffit d’aimer naturellement. C’est-à-dire d’être vraiment vous-même (car l’on n’est rien si l’on aime rien ni personne).

          Ceci posé, eh bien, ce que je désire dire aujourd’hui, c’est que j’aime Méditerranée, que ce film, mieux qu’aucun autre, vraiment, correspond à mon goût profond, que rien ne m’y choque, au contraire, que tout y est en accord avec ma sensibilité, que je pourrais le regarder sans cesse, qu’il aurait pu durer indéfiniment sans me lasser, que je demande à le revoir bientôt et le plus souvent possible. Et je ne serais pas tellement étonné de ne plus pouvoir le revoir jamais, car je ne me fais pas trop d’illusions. Mais alors, qu’on ne se fasse non plus pas trop d’illusions quant à prétendre m’aimer moi-même.


Méditerranée, Jean-Daniel Pollet (texte de Philippe Sollers), France, 1963, 16/35mm, 44', couleur.

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